En 1660, le roi Charles VI octroya aux habitants de Roquefort le droit de produire, d’affiner et de vendre leur fromage. Premier fromage français à avoir bénéficié d’une appellation d’origine contrôlée, en 1925, le Roquefort est le seigneur des fromages !

Depuis juin 2011, le territoire “Causses et Cévennes” est inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Le Larzac qui en fait partie garde des vestiges des temps où les troupeaux s’abritaient dans les jasses, bergeries en pierre recouvertes de lauzes. De ça de là, les brebis s’arrêtent pour boire dans une lavogne – oasis du causse – trou pavé dont l’argile retient l’eau des pluies.

img_2414« Vai las querre !*» ordonne Ioan Romieu à son chien. A La Cavalerie, sur les causses au relief rocailleux, les 562 brebis avancent en broutant l’herbage rare, mais d’une grande richesse aromatique. Elles y resteront toute la matinée avant la traite de l’après-midi. « La traite a lieu deux fois par jour, la première tôt le matin. Un berger mettait une heure pour traire 25 brebis à la main. Maintenant, grâce aux dispositifs de traite mécanique, on en trait 300 dans le même laps de temps ! Si le travail est moins pénible qu’avant, il reste astreignant et demande une présence constante. J’apprécie de mener le troupeau, chaque matin, avec les chiens Coquette et surtout Bahile acquis déjà dressé, il y a 2 ans. Mais depuis quelques années, broussailles et pins noirs d’Autriche envahissent les pâturages et cela constitue une grande préoccupation pour les éleveurs… »

 Brebis de la race Lacaune
En 1973, 60’000 hippies et antimilitaristes se rassemblèrent au Larzac pour une manifestation de protestation contre l’extension du camp militaire. Ce dernier possède encore de vastes zones destinées à l’entraînement. S’il subsiste un petit nombre d’utopistes soixante-huitards venus pour faire du fromage, beaucoup se sont cassé les dents…  Actuellement, 750’000 brebis constituent le troupeau laitier servant à la fabrication de ce fromage déjà apprécié par Charlemagne, dans un rayon de 100 km environ autour de Roquefort. « Toutes les brebis du troupeau appartiennent à la race Lacaune, du nom du village à l’origine de cette race de brebis dont le lait cru et entier est utilisé dans la fabrication du roquefort. Chaque brebis produit 1,2 litre de lait par jour, par période de lactation, de janvier à fin juin. Une brebis permet de fabriquer 40 kg de fromage de Roquefort par an. Le troupeau reste en bergerie jusque février et se nourrit principalement de luzerne. En novembre et décembre, c’est l’agnelage, après une période de gestation de 5 mois. La mère allaite le petit pendant 4 semaines. Pas d’agneau, pas de lait, et plus de lait signifie la fin de leur carrière. Ces grandes marcheuses ont une durée de vie d’environ 15 ans, dont 8 dans le troupeau. »

bergerieotpr-lavognepaysageMoisissures nobles, délices des gourmets
Le lait est collecté tous les jours et transporté depuis la ferme jusqu’à la fromagerie où il subit des contrôles bactériologiques puis est chauffé entre 28 et 34° dans des cuves en inox. Une fois réchauffé, le lait reçoit tous les éléments indispensables à sa transformation : ferments lactiques, présure et Penicillium roqueforti, additif capital pour la saveur du fromage. Les ferments lactiques permettent l’acidification de la pâte et la formation des ouvertures indispensables à l’installation du Penicillium roqueforti. Le caillé obtenu est découpé, brassé et mis en moules. Les pains de fromage sont salés avec du gros sel marin, puis retournés régulièrement durant 5 jours. L’excédent de sel est enlevé par brossage. Les pains sont piqués afin d’obtenir les chemins nécessaires pour le développement du Penicillium roqueforti. Ces étapes durent environ 10 jours. Débute alors la période d’affinage à l’intérieur des caves de Roquefort. Sur 159 millions de litres de lait produits par les 2’086 exploitations laitières, 82,5 sont transformés en Roquefort, 66,10 en autres fromages et 9,2 vendus à l’exportation.

Roquefort, altitude 630 m, 700 habitants
Classée site du goût depuis 1994, Roquefort est le site agroalimentaire le plus visité de France. Qui pourrait se douter en entrant dans le bourg que, sous la longue rue traversante, 100’000 fromages entament leur affinage à l’abri de la lumière, dans un labyrinthe d’environ 2 km de long et 300 m de large, composé de 30 caves naturelles adossées contre la falaise de Combalou ? Cette montagne dominant le village se caractérise par un éboulis datant du jurassique moyen (200 à 300 millions d’années) dont le résultat consiste en un réseau de failles naturelles. Ces « fleurines » véhiculent dans les caves, été comme hiver, des courants d’air frais – 95% d’humidité – ce qui favorise la croissance du Penicillium roqueforti et développe la saveur des fromages.
img_2463 img_2469 img_2477Symbole de la gastronomie française
Si sept fabricants surveillent l’affinage du fromage, les caves Société sont les plus anciennes – 17e siècle – et les plus vastes de Roquefort. La laiterie Société la plus proche se situe à 16 km, dans la ville de Saint-Affrique. Désignant une grotte, Bernard Roques, maître affineur, se plait à raconter la légende : « Il était une fois un jeune pâtre qui gardait ses troupeaux à l’abri, dans une grotte du Combalou. Un jour, partant conter fleurette à sa bergère, il y oublia son repas, du pain et du fromage au lait de ses brebis. Bien plus tard, de retour dans la grotte, il s’aperçut que le caillé de brebis était couvert de veinures vert-bleu. Il trouva le tout fort savoureux… Ainsi naquit le fromage de Roquefort ! »

img_2397-copieotroq-d-martin-cave-daffinage-societe-3En circulant à travers le dédale des caves voûtées, le maître affineur désigne les travées en chêne massif supportant les tables d’affinage recouvertes de plastique blanc et nettoyées à l’eau; le remplacement des monte-charges et toutes jointures de bois par de l’inox ; les feuilles d’étain pur pour envelopper les pains de fromage qui poursuivront leur affinage par une maturation à basse température pendant 2 mois ; les fleurines qui maintiennent une humidité et une température constantes en toute saison… Un fromage n’obtient son appellation AOC qu’au bout des 3 mois d’affinage sur la commune de Roquefort et de contrôles de qualité menés par le chef des caves. Bernard Roques prélève un peu de roquefort et en estime la consistance, le goût, la bonne disparité du persillage. La visite se termine par une dégustation dans la « chapelle », impressionnante salle souterraine haute de 9 m. L’un des 3 roqueforts présentés se nomme Baragnaudes, ce qui signifie « fée » en occitan.

* Cours les chercher ! (occitan)

www.roquefort.com

(Texte et photos : Françoyse Krier  – Photo fromages dans la cave Roquefort Société : @Dominique Martin)

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