Peu avant sa disparition, Etienne Delessert (1941-2024) a fait don de 145 œuvres au Canton de Vaud, lesquelles sont conservées aujourd’hui entre
les Archives cantonales vaudoises et l’Iconopôle de la Bibliothèque cantonale et universitaire – Lausanne. Quelque 170 créations font l’objet d’une exposition à l’Espace Arlaud à Lausanne ainsi que plusieurs prêts provenant, notamment, de la collection de Rita Marshall, graphiste américaine, veuve de l’artiste, du Musée cantonal des Beaux-arts (MCBA), du Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains (mudac) ou encore
du Musée Jenisch Vevey. A (re)découvrir jusqu’au 29.06.2025.



© Christian Rossier
Un couteau suisse – Etienne Delessert à touché à presque tous les médias de la communication visuelle : illustrateur, dessinateur de presse, affichiste, portraitiste, graphiste, au langage pictural reconnaissable au premier coup d’œil et se définissant comme peintre, Etienne Delessert fut aussi écrivain et entrepreneur dans les domaines de l’édition et du dessin animé. Considéré comme l’un des précurseurs du nouveau livre d’images pour enfants, il a illustré plus de quatre-vingts livres, dont certains traduits en quatorze langues et vendus à des millions d’exemplaires.
Ce, en soixante ans de carrière.
Entre ombre et lumière – Etienne Delessert n’est pas seulement le papa de Yok-Yok, le petit lutin au grand chapeau rouge ! L’œuvre et le rayonnement de la créativité de l’artiste vont illuminer le monde et marquer de son empreinte plusieurs générations. « Illuminateur, car son œuvre d’une grande richesse et d’une grande liberté comporte un côté positif, joyeux, côtoyant un côté de l’homme plus mélancolique, ténébreux, avec ses drames, ses colères, visibles dans certaines créations dans la salle intitulée “Prophètes et charlatans” », mentionne Sébastien Dizerens, historien de l’art indépendant.

J’ai raconté des fables aux grandes personnes et pris les enfants au sérieux
1970 marque la rencontre d’Etienne Delessert avec Jean Piaget, professeur de psychologie expérimentale et philosophe. Agacé par la sempiternelle question concernant ses livres “vraiment destinés aux enfants ou pas ? “, l’artiste va trouver Jean Piaget pour en discuter et ce qui devait être un entretien de quelques heures, devient finalement un travail d’étude sur plusieurs mois : les dessins de l’artiste concerneront les phénomènes de la nature et il sera demandé à des enfants de les décrire. Une thématique liée à ce thème sera donnée à un autre groupe d’enfants, dans le but de comprendre les réactions des enfants aux histoires inventées, dessinées par des adultes.
En comparant les deux sortes de dessins, le philosophe et le dessinateur vont se rendre compte que, finalement, Etienne Delessert arrive à se mettre dans la peau d’un enfant d’environ 5 ans et comprendre en partie sa psychologie… Ce travail scientifique mais expérimental va aboutir à un livre qui remportera un énorme succès : « Comment la souris reçoit une pierre sur la tête et découvre le monde ». (Auteur Etienne Delessert, préface de Jean Piaget).

1967-2019, Archives
cantonales vaudoises


L’œil est roi : marqué, enfant, par l’œil brillant d’une taupe morte, l’artiste finissait toujours ses dessins par “l’œil qui nous observe”, un des éléments importants de la représentation : celui du chat de la Griffe Ausoni, image gravée dans la mémoire collective du pays, du singe assis qui nous dévisage, des oiseaux, des hippopotames, de l’aigle au regard perçant… Formidable capacité d’observation innée chez l’artiste.


acrylique sur bois, 1997. Collection privée


Suisse Flamboyante : en 1997, paraît cet ouvrage d’Etienne Delessert (Editions Zoé) dans lequel sont dépeints trente portraits de créateurs suisses. Visages expressifs, entre humour et mélancolie. Bertil Galland s’avère admirateur notamment des portraits de Ramuz, de Chessex et de “celui qui contient toute la force d’Ella Maillart”. « Etienne Delessert découvre la beauté, une sorte d’épanouissement grandiose des êtres et des objets dans la couleur, et par la couleur », écrivait Eugène Ionesco.
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35 ans d’amitié et au moins 25 ans couvertures d’albums
Le chanteur vaudois Henri Dès a longtemps travaillé avec Etienne Delessert : ” Ces deux personnes autodidactes, très indépendantes, ont su trouver leur expression, leur originalité à travers leur personnalité “, selon Sébastien Dizerens.
« Cache-Cache » a été le premier album pour enfants du chanteur qui a demandé si consentait à faire la pochette. Il a répondu oui, et la suite, on la connaît : « La petite Charlotte », « Le beau tambour », etc.

Coloris forts, douceur des nuances, poésie des motifs
Etienne Delessert utilsait la gouache, la peinture acrylique et appréciait l’aquarelle. Une fois la couleur du fond posée, il la frottait à l’aide d’un tissu mouillé. Cette technique dite “aquarelle frottée” donne des aplats dégradés très doux, le “sfumato”…
« L’Ours Bleu » (Slatkine) est un ouvrage autobiographie. Etienne Delessert y déroule les fils d’une vie aussi colorée et prenante que ses œuvres : créativité intuitive et art graphique, rencontres amicales et collaborations avec Jean Piaget, Eugène Ionesco, les Gallimard, Alain Le Foll, autre artiste qui fait surgir un univers singulier sorti d’un rêve…



Affiche, 1999.
Archives cantonales vaudoises

Projet non abouti et donation
Une des salles de l’exposition est consacrée à la Fondation des Maîtres de l’Imaginaire, soit 32 œuvres sélectionnées par la Fondation.
S’il vécut aux États-Unis après l’échec de son film d’animation Supersaxo – projet jamais abouti qui aurait dû être, au début des années 1980, le premier long métrage d’animation suisse – Etienne Delessert restait attaché à la Suisse et c’est au canton de Vaud qu’il destina la donation des œuvres qui lui importaient le plus.
Le mot de la fin revient à Eugène Ionesco : “Etienne Delessert est un grand artiste car il a su garder son âme d’enfant.“

Diverses actions de médiation culturelle sont prévues : visites guidées, libres d’accès et sans inscription, partenariats avec BDFIl, avec les associations AVIVO Vaud et Solidarité-Handicap mental avec visites à visée inclusive. Un livret famille (4-8 ans) et un dossier pédagogique pour le corps enseignant sont accessibles sur le site internet de l’Espace Arlaud et mis à disposition sur place.
Etienne Delessert illuminateur – Espace Arlaud Lausanne // Place de la Riponne 2bis // 1005 Lausanne
Jusqu’au 29.06.2025
espace-arlaud.vd.ch