« Je m’appelle Jacky, mon numéro de matricule est 29955, je pèse 130 kg. Tu viens à la maison, tu manges, tu bois et tu rigoles. Regarde le résultat : 62 ans et pas de rides parce que j’ai passé 40 ans de ma vie à rire et à être positif ». Deux toques et un coup de cœur au Gault & Millau, Jacky Carles est un truculent et réaliste pionnier du tourisme vert.
Canard un jour, canard toujours…
Juillet 2016. Pour marquer ses 35 années de passion consacrées à l’élevage et à la transformation de canards gras, sur fond d’innovation en matière de tourisme vert, Jacky Carles « paysan toqué » comme il aime à se définir, conviait ses amis, en présence du chroniqueur et écrivain Pierre Bonte, dans sa ferme de Montiels, en Aveyron. Tout est mentionné en ces quelques lignes : la truculence et la générosité du maître des lieux, véritable toqué d’authencitité, prônant haut et fort un retour aux sources du goût, mettant en avant les (bons) produits de son exploitation.
Août 2017. Visite suivie de la ferme « pagnolesque », mes pas dans ceux du « pionnier du tourisme vert » qui présente son tout petit élevage de 2’500 canards : « Ils vivent en plein air, ont le rouge bien développé et ne sont pas a-né-miés ! Ce sont des canards randonneurs ce qui donne des palmipèdes bien musclés ». Le gavage, pratiqué depuis l’Égypte ancienne, est encore utilisé de nos jours dans le but de produire du magret, du confit, du foie gras, des rillettes : « Les canards pèsent environ 5 kilos et demie quand ils entrent au gavage, et 6 kg et demie quand ils en sortent, 13 jours après, sans torture. Il existe une désinformation totale de ce système. Il faut faire la part des choses entre ceux qui élèvent les canards humainement. Nous pratiquons le vrai bien-être animal et les industriels le bien-être animal virtuel… ».
Celui qui se définit comme un militant du bien manger a commencé en 1978 par une toute petite exploitation agricole « En 79, je parlais d’agro-tourisme. En précurseur, j’ai compris très vite qu’il fallait inviter les gens à venir visiter la ferme et les rassurer visuellement. Sur place, le consommateur s’offre son label à lui : il voit les canards, les prend en photo et ainsi de suite… De nos jours, il est difficile de parler des labels. Jean-Pierre Coffe a dit tout haut ce qu’il pensait de ces labels demandés par les gros industriels. Nous n’avons pas les moyens de nous offrir un label… ».
Jean-Pierre Coffe, le Lorrain, Jackie l’a bien connu, de même que Jean-Luc Petitrenaud, Gilles Pudlowski, et Roland Zemour qui titrait malicieusement dans Télérama : Jackie nous en bouche un coin coin… (Rires).
Son grand coup de cœur, c’est l’ami Pierre Bonte lequel lui a réservé 14 pages dans ses derniers livres. « Je vais le voir à chacun de mes passages à Paris, toujours sur le coup de midi et il me fait la cuisine !». Coup de cœur réciproque :
« Jacques Carles, avec sa faconde, son amour du pays et des produits de la terre, m’a fait découvrir le canard gras dans tout ce qu’il a de meilleur ».
Depuis, Pierre Bonte, originaire du nord de la France, a adopté le Rouergue.
Plus loin, le vaste potager – domaine de la femme de Jacky – regorge de citrouilles de toutes tailles, de cardons, de salades qui montent et de fleurs derrière les tomates.
Dans un coin, sous une bâche, des pleurottes mises à sécher par son fils Nicolas qui s’occupe de cette production.
Le maestro-es-art-de-vivre-à-la-française évoque un système irrespectueux, une belle France et ceux qui ont oeuvré à la maintenir belle et que des technocrates sans pratique sont en train de détruire. « Un qui travaille et dix qui te contrôlent… Il faut redonner de la joie à cette France qui est triste. C’est pour cela que j’organise ces soirées qui sont réellement des parties de rire pendant trois heures ». Les repas à “la Table Paysanne” (sur réservation) de Jackie Carles sont des moments de partage sous trithérapie : Canardothérapie, Vinothérapie, Rirothérapie…
« Je suis en train de devenir un jeune vieux mais je continue à faire de la résistance parce que j’ai peur que les générations futures se fassent éliminer tandis que les vieux, surout médiatisés, on ne les élimine pas ». En haut, dans la belle salle aux rangées de longues tables de bois accueille quelque 150 couverts. Si le maître des lieux assure le show, avec en ouverture une homélie de son cru, très attendue – et appréciée –, Dominique, son acolyte, en est la star : elle sert, n’hésite pas à prendre le micro pour chanter. Des tombolas permettent de remporter des lots de produits de la ferme. Un des menus concotés par Jacky : soupe aveyronnaise cuite au feu de bois et au cuivre, salade de gésiers, petits frisons, cou farci, pommes de terre aux pleurottes, manteau de canard farci au foie gras…
En plus d’être cuistot, l‘ambassadeur du terroir aveyronnais se dépeint comme « déconologue » ayant fait ses classes à la faculté de déconologie, ignare en ce qui concerne le domaine d’lnternet mais le seul en Europe reconnu par la CE à avoir le droit de travailler au feu de bois et au chaudron de cuivre. « Car dans un chaudron de cuivre, métal brut et vivant, les aliments n’ont pas du tout le même goût ». Ses chaudrons en cuivre ont été conçus par Jean Boisserie, dinandier d’art, deux fois Meilleur Ouvrier de France – rare privilège –, tout comme Yves Thuriès, son ami Maître chocolatier de renom.
Après un tour des ateliers de préparation (salle de stérilisation, laboratoire, magrets en séchoir…), et de la collection de chaudrons en cuivre et objets rustiques hérités du passé, il est temps de prendre congé de l’atmosphère chaleureuse de cette ferme aveyronnaise, haute en couleurs, en gastronomie et en rires. Et du « bon ange de Monteils » respirant la joie de (bien) vivre.
FERME DE JACQUES CARLES / Le bourg / 12200 Monteils – France
http://www.fermecarles.fr fermecarles@orange.fr
Texte et photos : Françoyse Krier